Lettre 3037 de Gabriel Dumont à Jean-Alphonse Turrettini

Lettre autographe, signée. Inédite. (F)
Bibliothèque de Genève, Ms fr 487 (f.49-52)

Enfin le pacquet

Dumont a finalement reçu le paquet avec les dissertations [Nubes Testium] dont les destinataires sont Rechenberg, Thomasius, Francke, Buddeus et Cyprian; il les a transmises aux destinataires en accompagnant l'envoi d'une lettre dans laquelle il leur demandait de manifester soit à JA soit à lui-même leurs réactions. Il se peut que certains d'entre eux craignent de dire leur pensée, de peur de se rendre suspect à leur parti. Dumont n'a pas pu se rendre à Halle, où il aurait pu en rencontrer certains, qui se serait peut-être exprimés plus librement oralement que par écrit; mais [Pierre II] Coste pourrait se charger de ce service à Halle. L'exemplaire que Morin [II] lui a apporté est venu bien à propos puisque cela faisait plusieurs semaines que Ruynat, qui a écrit plusieurs dissertations sur les points fondamentaux, le lui demandait. Pour ce qui est des exemplaires qui étaient à lui, il ne lui en reste qu'un, qu'il veut garder pour pouvoir le faire lire à des étudiants en théologie. Il en a remis aussi à Bardin, lecteur de langue française de Wittenberg, pour qu'il le fasse circuler; ce Bardin est au centre d'une petite affaire qui touche le problème qui tient à cœur à JA. Il s'est établi dans le Wurtemberg où il a acheté une maison, mais le problème est qu'il n'y a pas d'Église réformée là où il habite, ce qui l'oblige à se rendre à Dessau pour le culte et, pour ce faire, à perdre même des leçons. C'est pour cela qu'il a demandé aux autorités luthériennes de lui donner la permission de participer à leur table. Il a été au début fortement rebuté mais a insisté, en demandant qu'on l'examine pour voir s'il y avait dans sa croyance des erreurs tellement graves qui justifierait son exclusion de la cène luthérienne. On céda à son insistance et on l'interrogea sur trois points, à savoir 1) son identité confessionnelle 2) la présence réelle du Christ dans le sacrement 3) la prédestination. Il répondit respectivement 1) qu'il était réformé mais pas théologien et fort peu instruit des différences; qu'il lui semblait avoir lu dans un ouvrage de Luther que celui-ci mettait en garde ceux qui se faisaient appeler de son nom 2) qu'il croyait à la présence réelle au sens que le corps du Christ est comme il doit être dans le sacrement 3) qu'il ne savait pas ce qu'était la prédestination; une fois qu'on le lui expliqua, il répondit qu'il trouvait abominable l'idée que Dieu ait décidé de sauver et de damner les uns ou les autres de telle manière que, quoi qu'on vive bien ou mal, on le serait infailliblement; il ajouta qu'il n'avait jamais entendu un pasteur réformé prêcher ce genre de doctrines; en revanche les ministres prêchaient qu'on ne peut pas être sauvé sans sainteté. Sur cela, après délibération, on l'admit à la cène et depuis il communie chez les luthériens. Le problème maintenant vient de ce qu'il y a quelque temps il s'est marié à Berlin et que sa femme a des scrupules à participer à la communion; en même temps, des réformés lui reprochent de s'être fait luthérien. C'est à ce propos qu'il s'est rendu à Leipzig consulter Dumont; celui-ci l'a renvoyé au Consistoire de Berlin mais lui a dit approuver sa démarche et a incité sa femme à suivre son exemple. Il lui a suggéré de demander au consistoire de Wittemberg une attestation qui dise comment les choses se sont passées et de leur insinuer que le roi d'Angleterre [George I] travaillera bientôt à la réunification des protestants. Or le consistoire, en délivrant cette attestation, serait apprécié de tout le monde et cela d'autant plus que l'Université de Wittemberg passe pour être une de celles qui sont les plus opposées au projet. Voilà où l'affaire en est. Dumont remercie JA d'être intervenu en sa faveur en Hollande; s'il avait su la réputation d'hétérodoxie qu'a Genève dans ce pays-là et qu'il serait chargé de la même accusation, il aurait épargné à JA la peine d'intervenir dans cette affaire. La recommandation de JA, qui aurait dû avoir du poids, est en réalitésuspecte au parti coccéien. Il est content de n'être pas engagé à aller se défendre contre des gens qui lui créeraient toute sorte de chagrins. Il préfère en recevoir de quelques particuliers qui s'imaginent que la petite contribution qu'ils donnent pour son salaire lui ôte le droit de les réprimander en privé sur leurs fautes. Le malheur est qu'il a commencé à servir trop jeune l'Église de Leipzig, dans laquelle pourtant il vit content.

Adresse

[Genève]

Commentaire

La date de la lettre est fournie par Dumond dans celle du 01.06.1720.

Lieux

Émission

Réception

Genève

Conservation

Genève

Cités dans la lettre