Les principaux fonds manuscrits

La grande partie de la correspondance manuscrite active et passive de Turrettini[1] – soit 4’873 lettres sur un total de 4999 – est conservée en Suisse, le reste étant dispersé dans six pays[2]. Cette répartition reflète la disproportion déjà mentionnée entre correspondance active et correspondance passive, puisqu’il est assez logique que le pays de résidence du destinataire ait conservé davantage de lettres reçues que de lettres envoyées, qui y figurent en général sous la forme de brouillons ou de copies. Sur l’ensemble des manuscrits conservés en Suisse, la proportion de ceux qui se trouvent à Genève est écrasante : ce ne sont pas moins de 4’759 lettres qui y sont conservées contre 114 réparties entre Zurich (56), Bâle (35), Lausanne (20) et Neuchâtel (3). Les lettres genevoises sont groupées dans quatre collections de dimensions très inégales : deux publiques (l’une de la Bibliothèque de Genève avec 2’007 documents et l’autre des Archives d’État avec 10) et deux privées (l'une de la collection J.-D. Candaux avec 1 lettre et l'autre de la Fondation Turrettini avec 2'741 lettres). Les archives de la fondation Turrettini comportent, outre la correspondance de Jean-Alphonse, un très grand nombre de pièces manuscrites (lettres, traités théologiques, notes de lecture, copies d’actes notariés et autres manuscrits variés) relatives à Turrettini lui-même et aux membres de sa famille.

Archives de la Fondation Turrettini

Ces archives familiales, d’une extraordinaire richesse, sont réparties en deux fonds distincts, le Fonds 1, dans lequel se trouvent les papiers de la branche aînée et donc la correspondance de Jean-Alphonse, et le Fonds 2, qui, outre des documents généraux sur l’ensemble de la famille, contient principalement ceux de la branche cadette. La conservation et la transmission des deux ensembles se sont faites par des voies indépendantes et liées principalement à la destinée des biens immobiliers et des alliances de la famille Turrettini ; celle-ci ne les a récupérés que très tardivement, en 1982 pour ce qui est du Fonds 1 et en 1978 pour ce qui est du Fonds 2[3]. Les vicissitudes du Fonds 1 sont en étroite relation avec celles de la maison que Turrettini lui-même avait fait édifier, en 1723-1724 à Saconnex, dans la campagne genevoise, et dans laquelle il avait l’habitude de séjourner plusieurs fois par an. Or, il se trouve que sa descendance directe devait s’éteindre avec le décès en 1793 de son fils Marc, qui ne laissa pas de progéniture, son propre fils Jean-Alphonse II, dont la naissance avait été annoncée dans la correspondance, ayant disparu en 1779. Sans héritiers directs, Marc légua la maison familiale de Saconnex à son cousin Jean-Louis de Budé, seigneur de Boisy (1729-1816) qui, aux prises avec des difficultés financières, la céda deux ans plus tard à son propre fils Isaac. C’est ainsi que la propriété de Saconnex passa définitivement à la famille de Budé, qui hérita également des papiers de Jean-Alphonse qui y étaient conservés. En 1861, la maison échut à l’historien Eugène de Budé, biographe de plusieurs Genevois illustres[4], qui édita quelques centaines de lettres reçues par Turrettini[5]. La propriété de Saconnex fut vendue en 1951 à l’État de Genève par ses derniers propriétaires, le notaire Bernard de Budé et sa femme Blanche Emma Sophie Naville[6]. Ce fut leur fille Antoinette qui continua à s’occuper des archives ; vraisemblablement à sa mort, en 1962, elles échurent à sa sœur Françoise, épouse Kourakine, qui les transmit à sa propre fille Élisabeth Kourakine Dominicé, qui les remit en 1982 à Bernard Turrettini, apparenté avec les de Budé par sa mère Isabelle. Dominique Ferrero a achevé l’inventaire de la collection en 1993.

Le Fonds 1 est organisé chronologiquement autour des membres de la famille, les plus importants étant classés individuellement, les autres par groupes. Parmi les papiers de Jean-Alphonse, désignés par la lettre G, se trouve la grande partie de la correspondance, cotée Gd ; le sigle est suivi de numéros en chiffres arabes pour la correspondance active et d’un ensemble alphanumérique pour la correspondance passive[7]; un nombre réduit de lettres envoyées et reçues par Jean-Alphonse porte cependant des cotes différentes, soit parce qu’elles ont été classées parmi les papiers d’autres membres de la familles qui en étaient les destinataires, soit parce qu’elles ont été insérées dans d’autres ensembles thématiquement homogènes.

Il est difficile, voire impossible, de dresser un profil de cette collection épistolaire remarquable largement inédite[8] en raison du nombre et de la diversité des correspondants ; on peut toutefois signaler deux ensembles relativement homogènes qui y figurent, à savoir les lettres échangées entre Jean-Alphonse et sa famille lors de sa peregrinatio[9] et la correspondance entretenue avec les hommes d’affaires qui géraient les intérêts financiers de la famille à l’étranger[10]. Si le premier ensemble est d’un très grand intérêt pour l’étude du Refuge huguenot, de la situation académique des principaux centres universitaires européens, Genève incluse, et de la vie matérielle, le second fournit pour sa part des indications précieuses sur la situation patrimoniale de la famille ainsi que sur les stratégies de placement et la manière dont la situation financière européenne pouvait être perçue par des actionnaires situés dans différents pays. Mais d’autres aspects plus ponctuels tant de la biographie que de la vie politique et religieuse de l’époque reçoivent un éclaircissement inédit par l’étude de ce fonds, qu’il s’agisse des années de formation de Turrettini, grâce notamment aux lettres de l’ancien précepteur Jean-Antoine Dautun[11] et des frères bâlois Johann Heinrich et Theodor Gernler, de ses idées politiques qui ressortent avec netteté dans l’échange parfois tendu avec Hans Kaspar II Escher[12] ou de l’aide aux Églises vaudoises dont il est très souvent question dans les 85 lettres envoyées par le pasteur Auguste de Trey.

Bibliothèque de Genève

Après les archives familiales, c’est la Bibliothèque de Genève qui conserve la plus grande partie de la correspondance active et passive de Turrettini. Elle en a acquis une partie considérable en 1864 grâce à un don des héritiers de l’ancien médecin, professeur et conseiller d’État Jean-Jacques de Roches-Lombard[13]. Sur les 2’003 pièces qui composent la collection[14], 1’981 se trouvent dans les manuscrits français[15], 9 dans les archives Tronchin[16], 7 dans les manuscrits de la Compagnie des pasteurs[17], 3 dans les archives de la BGE[18], 1 respectivement dans les fonds Lullin[19] et Cramer[20] et 1 dans les autographes[21]. Largement inédite[22], la collection recèle des ensembles de lettres très considérables tant du point de vue des dimensions que sous le rapport de l’intérêt historique, comme celles de Jean I Barberyrac, de Gilbert I Burnet, de Jean-Pierre de Crousaz, de Jean Le Clerc, de Jean- Frédéric I Ostervald, de Richard Simon, de William Wake, etc. Si on compare les fonds des archives familiales et celui de la bibliothèque, on peut peut-être relever que les correspondants dont les lettres sont conservées à la BGE sont, dans l’ensemble, des figures plus connues de la République des Lettres et/ou du protestantisme européen et que le contenu de leurs correspondances a un profil nettement plus savant et plus théologique. Ce n’est toutefois qu’une lecture conjointe de l’un et de l’autre qui puisse restituer la vision d’ensemble d’une correspondance extrêmement organisée dans laquelle les projets de grande envergure – comme la réunification des Églises protestantes ou les réformes religieuses – se nourrissent certes de débats intellectuellement et théologiquement engagés mais sont minutieusement préparés et mis en place par des réseaux parallèles d’acteurs mineurs, que la mémoire historique a voués à l’oubli mais dont l’existence, attestée par les échanges épistolaires, a assuré aux élans idéaux leur indispensable ancrage social et ecclésiastique.

Autres fonds

Les autres fonds, suisses et étrangers, ont des dimensions très réduites comparées à celles des archives Turrettini et de la BGE ; ils sont néanmoins précieux dans la mesure où une partie de la correspondance active y est conservée. Constitués souvent autour d’un personnage, ils ont individuellement un caractère beaucoup moins varié que celui des grandes collections : c’est ainsi par exemple que la totalité du fonds de la Bibliothèque Cantonale Universitaire de Lausanne à l’exception d’une pièce est constituée de lettres de Turrettini à Jean-Pierre de Crousaz ou que la correspondance avec William Wake représente la presque totalité de la collection Turrettini de la bibliothèque du Christ Church College d’Oxford. Par exception à cette tendance, les 10 lettres de Turrettini conservées à la Bibliothèque nationale de France sont adressées à 3 correspondants différents[23], et celles de la Zentralbibliothek de Zurich reflètent dans une certaine mesure la panoplie des correspondants zurichois[24] dont les fonds genevois conservent les lettres à Turrettini.

S’il semble très vraisemblable qu’une large partie de la correspondance active de Turrettini est définitivement perdue, on ne peut cependant pas exclure que des lettres du Genevois se trouvent dans des collections privées ou dans des bibliothèques publiques qui auraient échappé à notre enquête.

 

 

 

 


[1] On ne présente pas ici tous les fonds dans lesquels se trouvent des lettres de et/ou à Turrettini mais on dessine plutôt un profil général de la localisation de la correspondance. Pour la liste détaillée de toutes les collections manuscrites, voir Annexe I.

[2] Il s’agit, par ordre décroissant, de la Grande-Bretagne (78), de l’Allemagne (13), de l’Italie (12), de la France (11), de la Hollande (3) et des Etats-Unis (1).

[3] Je ne m’attarderai pas à retracer l’historique du Fonds 2 qui ne contient aucune lettre de Jean-Alphonse ou qui lui soit adressée. Pour un bref aperçu de son histoire on peut se référer à l’introduction de l’inventaire dactylographié qu’en a établi en 1983 l’archiviste Micheline Tripet et dont on trouve un exemplaire à la BGE (cote BXM 22), en consultation à la salle des manuscrits. Aujourd’hui disparue, Micheline Tripet avait été d’une aide précieuse pour reconstituer l’histoire de ces fonds.

[4] Voir Vie de Jean Diodati, théologien genevois (1576-1649), Lausanne, 1869 ; Vie de François Turrettini, théologien genevois (1623-1687), Lausanne, 1871 ; Vie de Bénédict Pictet, théologien genevois (1665-1724), Lausanne, 1874 ; Vie de J.-A. Turrettini, théologien genevois (1671-1727), Lausanne, 1880; Vie de Jacob Vernet, théologien genevois (1698-1789), Lausanne, 1893 ; Vie de Jean-Robert Chouet, professeur et magistrat genevois (1642-1731), Genève, 1899.

[5] Lettres adressées de 1686 à 1737 à J.-A. Turrettini, Paris-Genève, 1887, 3 vol. Sur cette édition, voir Les éditions de la correspondance.

[6] C. Amsler, Maisons de campagne genevoises du XVIIIe siècle, Genève, 1999, vol. I, p. 295.

[7] La lettre de l’alphabet qui suit le sigle désigne l’initiale du nom de famille du correspondant ; elle est accompagnée d’un numéro qui signale la position alphabétique qu’il occupe parmi les expéditeurs dont le nom commence par la même lettre Ainsi par ex. la cote Gd.A.1, qui est assignée à la seule lettre de Firmin Abauzit contenue dans le fonds, indique que le nom du correspondant commence par A et qu’il occupe alphabétiquement la première place parmi les correspondants dont le nom commence par A. Les lettres ne sont en revanche pas foliotées.

[8] Sur les 2’741 lettres de la collection, seulement 343 ont fait l’objet d’une publication, soit partielle soit intégrale.

[9] Il faut toutefois relever que la correspondance relative au voyage d’études est partagée entre les archives familiales et la collection de la BGE.

[10] Il s’agit principalement de Pierre I Got, ami de la famille de longue date établi en Hollande, de Jean de Rossières, qui s’occupa dès 1700 des placements en Angleterre et de François Pictet qui prit le relais de ce dernier à sa mort en 1727.

[11] Des 120 lettres de Dautun à Turrettini, les 51 conservées dans les archives familiales comprennent, entre autres, toutes les lettres qui précédent la peregrinatio et qui reflètent les différentes étapes de la formation, philosophique notamment, de Jean-Alphonse.

[12] La correspondance avec l’homme politique zurichois est l’un des rares cas où il y a un certain équilibre entre correspondance active et correspondance passive : 39 lettres de Turrettini (dont 38 conservées à la Zentralbibliotek de Zurich et 1 à la BPU) et 68 lettres d’Escher (dont 61 conservées dans les archives familiales).

[13] Jean-Jacques de Roches (dit habituellement de Roches-Lombard suite à l’alliance avec les Lombard dont était issue sa femme Anne-Françoise-Pernette) (1780-1864) eut une double carrière, d’abord académique en tant que professeur adjoint et honoraire de médecine (1811-1830), ensuite politique comme conseiller d’État. Il était le petit-fils de François de Roches, correspondant de Turrettini et futur successeur à la chaire de théologie. Voir à son sujet Le livre du recteur de l’Académie de Genève : 1559-1878, publié sous la direction de S. et S. Stelling-Michaud, Genève, 1972, vol. III, p. 84, n. 6825 et 6852. Nous n’avons pas pu découvrir quand et comment la famille de Roches est devenue propriétaire d’une partie de la correspondance de Turrettini ; ni les archives privées ni celles de la BGE n’ont  fourni de réponses à ce sujet. Le seul lien entre cette famille  et Jean-Alphonse est représenté par François de Roches mais rien ne prouve que ce soit par lui  ou grâce à lui que sa famille est entrée en possession des lettres. Nous remercions Jean-Daniel Candaux et Paule Hoschuli, conservatrice des manuscrits à la BGE, d’avoir bien voulu nous aider dans cette recherche.

[14] Comme pour les autres fonds, les lettres envoyées à Turrettini constituent une très large majorité, leur nombre se montant à 2’483.

[15] Voir Ms fr 1001, 454, 481, 483-493 et 9038/2. Ce sont les lettres des Ms fr 483-493 qui ont fait l’objet du don susmentionné reçu par la BGE au XIXe siècle.

[16] Cf. TR 47, 57, 81, 209 et 211. Les Archives Tronchin sont propriété du Musée historique de la Réformation et sont déposées à la BGE.

[17] Ms Comp. Past. 36.

[18] CH BGE Arch. BPU Bb1.

[19] Ms Lullin 5.

[20] Ms Cramer 53/4.

[21] Autogr. D.O.

[22] Les lettres partiellement ou intégralement éditées sont au nombre de 443.

[23] Il s’agit de François Janiçon, Claude Nicaise et Nicolas Toinard.

[24]  On trouve à Zurich des lettres de Turrettini à Johann Jakob I Hottinger, Johann Jakob Leu, Hans Kaspar II Escher, Melchior II Hurter et Johann Jakob Zimmermann.