Les éditions du XIXe-XXIe siècle

L’édition quantitativement la plus considérable de la correspondance de Turrettini est celle, parue à la fin du XIXe siècle, d’Eugène de Budé[1] qui a choisi un certain nombre de correspondants illustres – 98 en l’occurrence – dont il a fait paraître une sélection de lettres présentées selon l’ordre alphabétique des expéditeurs. Pendant très longtemps les trois volumes in-8° des Lettres ont constitué l’accès principal, pour ne pas dire exclusif, à la correspondance ; c’est grâce à de Budé que le nom même de Turrettini est sorti de l’oubli presque total dans lequel il était tombé et que le public a pu pressentir l’importance de son corpus épistolaire. Mais le travail de l’historien genevois, malgré les services indéniables qu’il a rendus, ne constitue pas une édition critique ; non seulement il est dépourvu de tout apparat de description matérielle et de notes explicatives ou historiques, mais, plus grave encore, l’établissement textuel reste dans l’ensemble peu fiable. Des fautes répétées de lecture, des omissions, des phrases ou des parties entières tronquées sans indications, des datations parfois fantaisistes, la fusion dans un même document de deux lettres distinctes reviennent trop souvent dans les trois volumes pour faire de ceux-ci une référence qualifiée. Il faut signaler que le même de Budé avait fait paraître en 1879, dans le Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français, sept lettres de Benjamin du Plan à Turrettini[2] relatives aux Églises du Désert dont cinq devaient être incluses, avec des omissions, dans les Lettres de 1887. Il avait enfin publié deux lettres de Jacob Vernet à Turrettini dans la Vie qu’il a consacrée au premier en 1893[3].

Les lettres de la correspondance de Turrettini parues au XXe et au XXIe siècle ne s’insèrent pas toutes dans un projet organique d’édition critique ; certaines d’entre elles ont été publiées dans le cadre de monographies consacrées à l’un ou l’autre des correspondants ou des proches : c’est le cas des ouvrages de Gerrit Keizer sur François Turrettini avec 1 lettre[4], de Robert Grétillat sur Jean-Frédéric I Ostervald avec 24 lettres[5], de Paul Auvray sur Richard Simon avec 11 lettres[6] et de Camilla Hermanin sur Samuel Werenfels avec 7 lettres[7]. Il va de soi que ce genre d’éditions, qui ne peut pas prendre en compte l’ensemble de la correspondance, même pour une période chronologique donnée, est spécialement sujet à des imprécisions ou à des erreurs, notamment pour ce qui est de la datation et de l’identification des personnes citées et ce tout à fait indépendamment de la valeur intrinsèque de chaque monographie.

Pour ce qui est en revanche des éditions critiques à proprement parler, à savoir rédigées sur la base de critères rigoureux d’établissement textuel et pourvues d’un apparat substantiel de notes historiques, elles s’échelonnent de 1956 à 2008 et concernent cinq correspondants : Jacques Serces, Jean Le Clerc, Jacques Basnage, William Wake et Jean-Robert Chouet. Si ces éditions présentent l’avantage d’offrir un accès au texte fiable et souvent richement annoté, elles ne sont en revanche malheureusement pas exhaustives, sauf celle de la correspondance avec Le Clerc publiée dans son intégralité par Mario et Maria Grazia Sina[8], pour des raisons de limitation chronologique ou thématique la plupart du temps. C’est ainsi que Frédéric Gardy ne publie que 3 des 12 lettres échangées entre Turrettini et son ancien étudiant Serces[9] et Leonard Adams[10] 8 sur les 130 que forme la collection des lettres envoyées par Turrettini à Wake et vice versa. Quant à Myriam Silvera, son édition de la correspondance de Basnage s’arrête en 1709, ce qui a pour conséquence l’omission de 8 lettres postérieures à cette date sur les 28 échangées entre les deux hommes[11]. Pour ce qui est de la récente publication de la correspondance de Jean-Robert Chouet par Mario Sina, elle se concentre en très grande partie sur la période de la vie du philosophe relative à l’enseignement de la philosophie (1664- 1686), ne prenant ainsi pas en compte les lettres postérieures ni celles à contenu plus politique et/ou administratif. Elle publie toutefois 5 lettres de Chouet à Turrettini de 1691 et 1693[12] mais omet, à juste titre d’après les critères de sélection retenus, le reste de l’échange qui compte en tout 24 lettres.

Sur le nombre global des lettres éditées, le pourcentage de celles qui ne le sont que sous forme d’extraits ou de phrases isolées avoisine le 34%[13]; une grande majorité des lettres ainsi publiées provient des collections de la BGE mais certains autres fonds manuscrits qui alimentent la correspondance de Turrettini – notamment les archives familiales et le fond archiépiscopal d’Oxford – sont également représentés. Aucun de ces fragments n’appartient en revanche à des lettres qui ne seraient connues que par ce biais. Certains des ouvrages déjà mentionnés qui incluent des lettres entières, comme la biographie de Jacob Vernet par de Budé ou la monographie de Grétillat sur Jean-Frédéric I Ostervald ou celle d’Hermanin sur Samuel Werenfels, publient aussi des passages d’autres pièces. Quant aux autres, ce sont soit des monographies et des articles consacrés à certains des correspondants[14] soit, moins fréquemment, des ouvrages portant sur des sujets historiques plus larges[15]. Sans s’intéresser, bien évidemment, à la correspondance en tant que telle, ils y puisent ce qui peut éclairer des relations, des personnages ou des débats ; leur importance pour la connaissance de la correspondance est de ce fait fortement limitée.

 

 

 

 

 


[1] Lettres adressées de 1686 à 1737 à J.-A. Turrettini, Paris-Genève, 1887, 3 vol.

[2] Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français, 28, 1879, n. 1, p. 19-30.

[3] Vie de Jacob Vernet, théologien genevois (1698-1789), Lausanne, 1893, l. 3509 et 3607.

[4] G. Keizer, François Turrettini, sa vie, ses œuvres et le Consensus, Lausanne, 1900,  l. 89.

[5] R. Grétillat, Jean-Frédéric Ostervald 1663-1747, Neuchâtel, 1904 ; l.1449, 1465, 1665, 1691,1729, 1732, 1737, 1747, 1756, 1784, 1860, 1877, 1898, 1995, 1996, 2012, 2358, 2458, 2480, 2497, 3204, 3209, 3214, 3580.

[6] P. Auvray, Richard Simon (1638-1712). Étude bio-bibliographique avec des textes inédits, Paris, 1974 ; l. 872, 882, 904, 1245, 1248, 1249, 1255, 1256, 1274, 2232 ; la dernière est la lettre du 14 septembre 1699 (l. A) que nous ne considérons pas comme étant adressée à Turrettini.

[7] C. Hermanin, Samuel Werenfels. Il dibattito sulla libertà di coscienza a Basilea agli inizi del Settecento, Firenze, 2003 ; l. 1259, 1303, 1308, 1459, 1760, 1766, 2591.

[8] J. Le Clerc, Epistolario, M. et M. G. Sina (éd.), Firenze, 1987-1997, 4 vol. Sur les 44 lettres que compte le corpus de la correspondance entre Turrettini et Le Clerc (19 lettres de Turrettini et 25 lettres de Le Clerc), l’édition Sina en compte 43 puisqu’elle omet, sans doute par mégarde, la l. 2948. Voir l. 1583, 1687, 2067, 2092, 2159, 2165, 2178, 2193, 2289, 2313, 2371, 2391, 2391, 2479, 2533, 2561, 2629, 2638, 2670, 2671, 2856, 2862, 2908, 2923, 2940, 2950, 2970, 3039, 3223, 3260, 3301, 3314, 3382, 3388, 3401, 3475, 3496, 3506, 3537, 3599, 3716, 3734, 3993.

[9] Correspondance de Jacques Serces, F. Gardy (éd.), Londres, 1952-1956, 2 vol. ; l. 3069, 3123, 4030.

[10] William Wake’s Gallican Correspondence and Related Documents 1716-1731, L. Adams (éd.), New York et Bern, 1988-1993, 7 vol. ; l. 2640, 2922, 2930, 2936, 2946, 2952, 2967, 3042.

[11] J. Basnage, Corrispondenza da Rotterdam, 1685-1709, M. Silvera (éd.), Amsterdam & Maarssen, 2000 ; l. 100, 426, 645, 667, 683, 787, 812, 975, 1187, 1232, 1238, 1328, 1386, 1407, 1434, 1447, 1576, 1660, 1790, 1921.

[12] M. Sina, La corrispondenza di Jean-Robert Chouet professore di filosofia a Saumur e a Ginevra, Firenze, 2008, l. 327, 372, 656, 706, 716

[13] On compte 275 lettres éditées partiellement sur un total, je le rappelle, de 813 lettres.

[14] E. de Budé, Vie de Jean Robert Chouet, cit. ; A. Caracciolo, Domenico Passionei tra Roma e la repubblica delle lettere, Roma, 1968 ; F. B. Crucitti Ullrich, La « Bibliothèque italique » : cultura « italianisante » e giornalismo letterario, Milano et Napoli, 1974 ; J. de La Harpe, Jean-Pierre de Crousaz et le conflit des idées au siècle des Lumières, Genève et Lille, 1955 ; P.-O. Léchot, « La Réforme vue par un pasteur des Lumières. Jean-Louis Chouppard, premier historien de l’Église en pays neuchâtelois », in M. Rose (éd.), Histoire et herméneutique. Mélanges pour Gottfried Hammann, Genève, 2002, p. 220-233 ; P. Meylan, Jean Barbeyrac (1674-1744) et les débuts de l’enseignement du droit dans l’ancienne Académie de Lausanne : contribution à l’histoire du droit naturel, Lausanne, 1937 ; N. Sykes, William Wake, Archbishop of Canterbury, 1657-1737, Cambridge, 1957, 2 vol.

[15] Jean-Antoine Gautier, Histoire de Genève, Genève, 1896, I, p.xviii-xix ; A. Rheinwald, « L’abbé Huber ou la psychologie d’une conversion », Genava, 5, 1927, p.95-96.