Lettre 2911 de Ami Lullin à Jean-Alphonse Turrettini

Lettre autographe, signée, adressée. Inédite. (F)
Archives de la Fondation Turrettini (Genève), 1/Gd.L.29

J'esperois toujours

Lullin est navré de ne rien pouvoir dire de précis à JA sur la lettre que celui-ci a envoyée à l'archevêque [Wake] mais, bien qu'il se soit rendu à Lambeth, il n'a pas pu approcher le prélat, à cause des affaires publiques et de la maladie de sa femme. Il semble, en tout cas d'après [Hans Heinrich II] Ott, que Wake doive lui répondre cette semaine, ainsi JA saura quels sont ses sentiments. Ici les opinions sur l'archevêque sont très partagées et les deux grands partis opposés en sont également mécontents. Il n'a pas pu lui-même se faire une véritable opinion. C'est un homme doux, exceptionnellement modeste pour son rang, aimable avec tout le monde, attentif à ce que tous participent à la conversation, sachant bien raconter des histoires. Le public ajoute à cela qu'il est fin, dissimulé et pas très prodigue et il y a eu des histoires à propos de certaines aumônes supprimées qui ont révolté beaucoup de monde. Pour ce qui est de la théologie, il est arminien pour les questions de la grâce, du péché originel, de la prédestination etc. ; plusieurs fois il lui a loué l'histoire des deux synodes d'Amyraut [Du gouvernement de l'Église (?)]. Il ne va en tout cas pas plus loin, puisque Lullin l'a une fois entendu traiter les sociniens, les pélagiens, les courcelliens etc. de "canailles", comme il l'a du reste montré dans un sermon qu'il a prêché dans sa chapelle et au cours duquel il s'est emporté contre de tels sentiments. Il n'est donc pas aussi tolérant qu'on le croit; il a en effet parlé deux heures et voté contre le bill en faveur des presbytériens à la chambre des Lords et il s'est prononcé ouvertement contre l'évêque de Bangor [Hoadly]. Un jour il lui a dit qu'il était fâché que des personnes abusent du nom de son ami JA, comme [Parrain de] Durette et de La Pillonnière, qui ont soutenu dans leur ouvrage [Parrain de Durette, A Treatise concerning the Abuse of Confessions of Faith] qu'il partageait leurs sentiments et pour ce faire ont tordu le sens de certains de ses passages. Wake recommanda à cette occasion que JA dénonçât publiquement cet abus dans un pamphlet, fût-il de quelques pages seulement. Lullin lui répondit que JA avait une santé fragile et que sa modestie le retenait beaucoup de publier mais qu'il ferait la commission. Depuis, l'évêque n'est plus revenu sur la question. Dans la séance à la Chambre des Lords évoquée plus haut, son intervention a mécontenté tant la Cour que les tories; elle est d'autant plus surprenante que, quand il était évêque de Lincoln, il s'était opposé à des actes très rigoureux approuvés à l'époque contre les presbytériens, actes que, justement, la nouvelle loi veut révoquer. Ce changement ne lui fait pas honneur, si on considère aussi que onze évêques se sont prononcés en faveur de cette loi et qu'il doit son avancement au roi [George I] qui, si c'était à refaire, ne l'élèverait plus à la haute charge qu'il occupe actuellement. L'archevêque a soutenu au Parlement qu'il fallait exclure tous ceux qui ne croient pas à la trinité d'après un symbole qu'on voulait proposer. L'autre jour [Samuel II] Haliday, [Edmund I] Calamy (l'un des ministres presbytériens parmi les plus accrédités) et Lullin ont bu à la santé de JA. On aura bientôt la suite de la Bible des LXX commencée par le docteur Grabe [Vetus Testamentum, Oxonii, 1719] et dont la mort a beaucoup retardé la parution de l'ouvrage. Rien de [Gilbert I] Burnet ne paraît pour le moment mais les six ans qu'il avait donnés comme délai après sa mort pour publier ses écrits ne sont pas encore passés. De ses fils, l'aîné [William] occupe une place à la douane et le deuxième [Gilbert II] est chapelain du roi. Ce dernier a reçu récemment une mortification car il a été censuré pour avoir parlé trop librement du socinianisme à la table des chapelains et s'être déclaré publiquement pour l'évêque de Bangor, en faveur duquel il a publié un écrit [A Full Exam"ination]. On attribue au cadet un petit livret plein d'esprit qui décrie furieusement le clergé anglais. L'évêque de Bangor a publié un livre dans lequel il soutient qu'il n'est pas permis d'exiger la participation à la communion comme condition pour avoir un emploi [The Common Rights of Subjects]. C'est ce qui est le cas actuellement, puisque pour avoir n'importe quelle charge dans le pays il faut pouvoir produire un certificat de participation à la sainte cène devant plusieurs témoin. Il y a une très grande production littéraire pour et contre les presbytériens. Toland vient de publier un livre intitulé Nazarenus dans lequel il veut démontrer que c'est cette secte qui a conservé la religion des véritables chrétiens; il dit avoir vu leur évangile en Hollande. Aufrère estime que seul JA peut le réfuter. On dit que le roi fera un voyage à Hanovre au printemps prochain et qu'il fera passer un acte au Parlement qui établira la Régence, dont sera exclu le prince de Galles [George]. On dit même qu'on rétablira mylord [Saint-John] de Bolingbroke. Le bruit court aussi que le duc [John Campbell] d'Argyll fait la paix avec la Cour et quitte celle du prince.

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