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Lettre 4744 de Thomas Payne à Jean-Alphonse Turrettini

Constantinople 14.03.1735 [03.03.1735]

Quand je rappelle

Payne répond avec un très grand retard à la lettre de JA. Il n'existe malheureusement pas d'archives de l'Église patriarcale, ce qui aurait été bien utile pour faire en abrégé l'histoire de la vie des patriarches de Constantinople. Pourtant, avant de répondre à JA, Payne a voulu s'informer auprès des ecclésiastiques de sa connaissance de ce qui s'était passé depuis le début du siècle. Pour ce faire, il devait se rendre à Constantinople mais, juste au moment où il en avait conçu le projet, la pes...

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Lettre 4744 de Thomas Payne à Jean-Alphonse Turrettini

Constantinople 14.03.1735 [03.03.1735]


Lettre autographe, signée. Inédite. (F)
Bibliothèque de Genève, Ms fr 492 (f.32 r°. 34-37)


Quand je rappelle


Payne répond avec un très grand retard à la lettre de JA. Il n'existe malheureusement pas d'archives de l'Église patriarcale, ce qui aurait été bien utile pour faire en abrégé l'histoire de la vie des patriarches de Constantinople. Pourtant, avant de répondre à JA, Payne a voulu s'informer auprès des ecclésiastiques de sa connaissance de ce qui s'était passé depuis le début du siècle. Pour ce faire, il devait se rendre à Constantinople mais, juste au moment où il en avait conçu le projet, la peste a éclaté dans les quartiers où sont logés les métropolites. Il n'a pas pu mettre à exécution son projet pendant l'été puisque le risque de contagion était trop grand. Il a donc ensuite cherché de la documentation sur l'Église grecque mais tout ce qu'il a trouvé a été une relation de l'année 1702 (que JA trouvera ci-jointe) avec les noms et les dates des patriarches de Constantinople. Il paraît qu'il y a un manuscrit avec des choses très remarquables auprès de l'un des métropolites. Peut-être Payne arrivera-t-il à le consulter. Il a lu et relu le Compendium d'histoire ecclésiastique de JA qu'il tient pour un des ouvrages les plus accomplis et les plus précieux, après la Bible, qui ornent sa petite bibliothèque. Il partage l'avis de JA sur l'Église grecque et sur l'invalidité des témoignages à propos des témoignages portant sur les controverses d'antan entre protestants et catholiques romains. Le docteur Covel, qui était chapelain à Constantinople, montre clairement, dans son histoire de l'Église grecque publiée en 1722, que les souscriptions des patriarches, des métropolites et des autres ecclésiastiques en faveur de la doctrine monstrueuse de la transsubstantiation à l'époque de la controverse entre Claude et Arnauld, ne témoignent en aucune manière des véritables sentiments de ces gens-là. Les ecclésiastiques romains, alors bien appréciés du marquis de Nointel, trouvèrent les moyens de persuader les ecclésiastiques grecs, qui étaient par ailleurs dans la plus grande ignorance de ces questions-là et n'avaient pas assez d'esprit pour les examiner. Du reste la même chose se reproduirait aujourd'hui puisque l'ignorance est demeurée la même, si elle n'a pas augmenté. La plupart des ecclésiastiques grecs et de leurs supérieurs ne lisent rien et négligent aussi bien l'Écriture que l'histoire ecclésiastique. Les laïcs, découragés par la lecture de la Bible, acceptent fort facilement tout ce qu'on leur présente sous les espèces de l'antiquité. L'érudition est tellement en décadence parmi les Grecs que n'importe qui sachant à peine lire et écrire passe chez eux pour un savant. Les jésuites et les prêtres catholiques du temps du marquis de Nointel se sont bien aperçus de l'avarice et de l'ignorance des ecclésiastiques grecs et en ont tiré profit. Aujourd'hui ce serait la même chose. Si la providence ne s'en mêle pas pour éclairer les esprits de ces gens et les détourner de leur avarice, l'Église romaine l'emportera, dans l'Empire ottoman, sur toutes les autres Églises. Pour ce qui est de la transsusbstantiation, les missionnaires ont réussi à répandre cette doctrine en misant sur le fait que les gens ne savaient pas de quoi il s'agissait. Ceux qui prétendent savoir et admettent la présence corporelle, sont soit aveugles soit entêtés pour ne pas s'apercevoir que c'est une doctrine inconnue de l'ancienne Église grecque. Ils disent que, même si le mot manque, la notion était déjà connue. Comme exemple de l'exploitation que les missionnaires savent faire de l'avarice et de l'ignorance des prêtres grecs, Payne cite ce qui est arrivé en 1732. L'Église grecque est, en outre, une Église très divisée où la discorde règne tant parmi les ecclésiastiques que parmi les laïcs. L'Église patriarcale de Constantinople est aussi de plus en plus pauvre et endettée; on ne peut obtenir un bénéfice que par le chemin de la simonie; c'est la raison pour laquelle les métropolites ont tellement de dettes, obligés qu'ils sont de payer des sommes"considérables pour leurs évêchés. Ils sont ainsi presqu'obligés d'opprimer les prêtres et la populace auxquels ils prennent tout leur argent. Au moment de son arrivée à Constantinople, en 1719, Payne avait des sentiments beaucoup plus favorables à l'égard de l'Église grecque, en raison aussi de la commune opposition à la tyrannie et à l'usurpation de l'Église romaine; il pensait pouvoir y trouver beaucoup de points communs avec les protestants. C'est pourquoi il a cherché à nouer des relations avec les ecclésiastiques du lieu. Mais depuis qu'il en a reconnu l'ignorance, la tyrannie sur les consciences, l'esprit de persécution, l'idolâtrie etc., il a changé d'opinion. De temps à autre, mais rarement, il rend visite aux patriarches de Constantinople et de Jérusalem et à quelques métropolites. Il en est, à la vérité, très bien reçu mais ce sont des gens sans littérature et il préfère les fréquenter peu. Le seul qu'il ait connu, qui était différent, était feu Chrysanthos, ancien patriarche de Jérusalem qu'il avait plaisir à voir une ou deux fois par mois. Il parlait très librement avec Payne et se plaignait du reste beaucoup des ecclésiastiques de son Église. Quant à son érudition, en Orient, elle le faisait considérer comme un prodige, alors qu'en Europe il n'aurait pas pu prétendre à faire partie du premier rang des savants. Il savait un peu de tout mais n'avait rien d'approfondi. Il était très curieux de ce qui se passait en Europe et posait beaucoup de questions sur l'Église d'Angleterre et sa doctrine; mais quand Payne le questionnait sur les dogmes de l'Église grecque, au lieu de répondre, il cherchait à détourner la conversation en disant que Payne savait bien que de toute façon cela ne s'accordait pas avec l'Église anglicane. Une fois, Payne lui demanda pourquoi on devrait prendre la phrase du Christ "hoc est corpus meum" dans un sens littéral alors qu'on ne le fait pas pour d'autres mots de Jésus, comme quand il se compare à une vigne etc. Le patriarche répondit de façon étonnante que c'était un mystère et que cela aurait été téméraire de vouloir le comprendre. Une autre fois, à propos de Cyrille Lucar, il dit que sa confession n'était pas de lui mais d'un protestant ou qu'alors il avait changé d'avis avant sa mort. Il prétendait avoir des documents, que son oncle, le patriarche Dositheos, lui avait légués, qui confirmaient cela. Pour tous ceux qui ont à cœur la religion chrétienne, une relation exacte de l'état de cette Église ne peut que faire de la peine. En l'état actuel, Payne n'est pas en mesure de donner une relation chronologique exacte. Il se limite à donner une liste des patriarches, avec leur lieu de naissance et les évêchés successifs qu'ils ont occupés. Il a connu pratiquement presque tous les patriarches de son époque, à l'exception de Neophytas Jeremias, qui est mort depuis quelques mois. C'était un homme bien grossier et ignorant et, à ce qu'on dit, fort débauché. Il a pu rester en charge 14 ans grâce aux sommes payées aux Turcs. Quant à Parisius, il avait de bonnes manières et de la politesse mais c'était un homme plus rusé que droit et, paraît-il, très sensible au charme féminin, ce qui est un vice très répandu parmi les métropolites grecs. Payne l'a rencontré deux ou trois fois. Il avait l'apparence d'un homme bien mais sans beaucoup de littérature. Quant à Neophytas, il ne l'a pas rencontré puisqu'on le dit grossier et l'on ajoute qu'il sera bientôt démis de ses fonctions. Payne envoie à JA deux histoires des patriarches de Jérusalem par Disitheos, l'une pour JA, l'autre pour la Bibliothèque de l'Académie. Il n'a pas encore lu cette histoire et ne peut donc pas dire ce qu'il en pense. Payne vit désormais un peu éloigné du monde savant et en a peu de nouvelles. Il aimerait savoir ce que JA a publié récemment. Il a vu de lui la Nubes Testium et un Sermon [1719] imprimé à la fin de ceux de Werenfels [Sermons sur des vérités importantes]. Il possède de ces derniers une édition dans laquelle il n'y a pas le sermon de JA sur le jubilé de la Réformation à Zurich. Il a vu un volume tiré du latin de la vérité de la religion chrétienne de JA [Vernet, Traité]. Il a eu un grand plaisir à lire ces ouvrages dans lesquels il y a beaucoup d'érudition et de jugement et cela lui a donné envie de savoir quelles autres pièces JA avait données au public. Il voudrait savoir en particulier s'il a l'intention de publier (ou s'il l'a déjà fait) le traité latin de la vérité de la religion chrétienne. Gonet se trouve à Constantinople depuis octobre. Tout le monde, et en particulier les Hollandais et les Genevois, en est bien aise et avec raison car c'est un homme d'esprit et de belles manières. Il faut louer le Seigneur de ce qu'il a donné aux Genevois et aux Hollandais un tel ministre. On a eu peur vers Noël quand une longue indisposition l'a cloué au lit pendant quelques semaines mais il s'est heureusement rétabli. Payne s'excuse de la longueur et des fautes de cette lettre mais, quand il écrit à l'un des hommes les plus savants d'Europe, sa main tremble.

Adresse

[Genève]


Lieux

Émission

Constantinople

Réception

Genève

Conservation

Genève


Cités dans la lettre

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