Le Clerc est heureux que les Suisses se libèrent, petit à petit, de leurs préjugés et ils le feront de plus en plus grâce à trois personnes [Jean-Frédéric I Ostervald, Samuel Werenfels et JA lui-même] qui font honneur à leur pays. Il prie Dieu de tout son cœur d'affermir la santé de son correspondant; il faut que celui-ci seconde la providence par une bonne manière de vivre, ce qu'il ne manque pas de faire. Ce qui contribue à un bon état, après la constitution physique, c'est la tranquillité de...
Lettre autographe, signée. (F) Bibliothèque de Genève, Ms fr 487 (f.294-295)
Sina, Epistolario, III, p.507-512.
Il y a longtemps
Le Clerc est heureux que les Suisses se libèrent, petit à petit, de leurs préjugés et ils le feront de plus en plus grâce à trois personnes [Jean-Frédéric I Ostervald, Samuel Werenfels et JA lui-même] qui font honneur à leur pays. Il prie Dieu de tout son cœur d'affermir la santé de son correspondant; il faut que celui-ci seconde la providence par une bonne manière de vivre, ce qu'il ne manque pas de faire. Ce qui contribue à un bon état, après la constitution physique, c'est la tranquillité de l'esprit, comme Le Clerc a pu le constater pour lui-même, qui est en parfaite santé depuis trente ans, bien qu'il travaille beaucoup. Pour ce faire, il faut accomplir le devoir de l'état dans lequel on se trouve, sans trop se soucier du passé ou de l'avenir ou du présent. Il ne conseille pas à JA d'avoir autant de commerce du monde que lui, à cause de sa santé défaillante, mais de s'inquiéter le moins possible. Quant aux ouvrages ad usum Delphini, il n'y en a que trois qui, à ce que sache Le Clerc, vaillent la peine d'être achetés, à savoir le Pline du père Hardouin [Parisiis, 1685], le Festus [Lutetiæ, 1681], l'Aurelius Victor [Parisiis, 1681], l'Eutrope [Parisiis, 1683] et le Florus [Parisiis, 1674] des Dacier. Le reste est méprisé, les notes ne sont pas bonnes, le texte souvent peu correct, les index inutilisables. Il vaut mieux acheter, pour un jeune homme, les auteurs avec les notes de Minell et de Bond, qui ne sont pas exquises mais suffisent pour quelqu'un qui commence. Après s'être bien affermi, on peut passer aux Variorum de Hollande, qui sont les meilleurs, notamment ceux auxquels Gronovius a travaillé comme le Tite-Live [Lugduni Batavorum, 1645], le Tacite [Amstelodami, 1672] et le Sénèque [Lugduni Batavorum, 1649]. On a commencé à imprimer à Londres les auteurs classiques in-12° avec d'assez bons index sur les poètes. Il y en a déjà quinze pour les Latins et on promet pour bientôt les Grecs. Il en a une douzaine que le libraire lui a offerts. Le Clerc aimerait avoir l'avis de JA sur son histoire ecclésiastique. Depuis longtemps il voulait dire à JA de ne se fier nullement à [Jacques] Bernard, professeur à Leyde, qui, pour faire l'orthodoxe à outrance, dit tout le mal possible de l'Académie de Genève, jusqu'à l'accuser de socinianisme; c'est un homme qui agit seulement pour son intérêt. Il a besoin de se montrer orthodoxe parce que, dans le fond, il ne partage guère les sentiments de ses collègues, qu'il choque parfois par inadvertance; ensuite, pour remédier, il dit n'importe quoi. Il a fait le modeste avec [Léonard] Baulacre mais il est emporté avec d'autres quand il s'agit de se forger la réputation d'orthodoxe. [Jean] Masson vient de publier, sans nom d'auteur, un ouvrage en faveur de Bayle [de La Monnoye, Exacte revüe de l'Histoire de Mr Bayle] où il dit beaucoup de mal de Le Clerc, qui ne lui a rien fait; il n'a entrepris l'Histoire critique de la République des Lettres que pour lui nuire, en croyant faire de l'ombre aux périodiques de Le Clerc par ses misérables rhapsodies. Le Clerc ne lui a jamais répondu et a l'intention de continuer dans cette attitude. Il a terminé son commentaire de Job [Veteris Testamenti libri hagiographi], qui lui a coûté une peine infinie; il pense y avoir expliqué quantité de passages qu'on n'avait pas bien entendu jusqu'à présent. Il veut terminer le reste de l'Ancien Testament; dès qu'il y aura un volume de fait, il commencera à imprimer parce que ces impressions sont longues. C'est un travail qui, quoi que difficile, lui plaît beaucoup et dont il a l'habitude. Il pense que ces ouvrages servent à établir la vérité et la vertu, notamment pour les chrétiens, qui lisent le plus la Bible mais qui, comme les Juifs, ont un voile devant les yeux. Il a lu les Sermons de Werenfels [Bâle, 1715] dont il a apprécié la piété vive et éclairée, malgré la simplicité du style. L'auteur aurait dû e"nvoyer son manuscrit à JA pour que celui-ci pût en corriger la langue. Les Wetstein les réimpriment en Hollande [Amsterdam, 1716] et Le Clerc en aurait corrigé volontiers les fautes de construction mais l'impression était trop avancée. On réimprime ici aussi ses dissertations tant théologiques que philosophiques [Dissertationum duo volumina] ; il connaissait déjà les théologiques mais a découvert les autres, dans lesquelles l'auteur fait preuve d'une finesse de raisonnement peu commune; il témoigne un amour inviolable pour la vérité, joint à une prudence et à une sagesse rares. Le Clerc apprend que [Samuel] Turrettini fait des leçons pour son père [Michel] et en est ravi; il espère qu'il aura bientôt le poste qu'il mérite.