32 Lettres

Lettre 2181 de Jean I Barbeyrac Ă  Jean-Alphonse Turrettini

Lausanne 21.05.1711

Je suis bien fâché

Barbeyrac est content que sa harangue [De utilitate et dignitate juris] n'ait pas déplu à JA, et en particulier l'endroit où il a pris la liberté de parler de la négligence de la plupart des théologiens à l'égard du droit naturel; les dernières thèses de JA [Cogitationes] donnent bien à voir ce qu'il pense là-dessus. Du reste ces thèses sont bien décriées par les théologiens; celui qui les lui a remises, qui est l'oncle par sa femme du répondant, n'a pas goûté en particulier celle...

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Lausanne 21.05.1711


Lettre autographe, signée, adressée. (F)
Bibliothèque de Genève, Ms fr 484 (f.112-113)

Extraits dans Meylan, Barbeyrac, p.90, 93.


Je suis bien fâché


Barbeyrac est content que sa harangue [De utilitate et dignitate juris] n'ait pas déplu à JA, et en particulier l'endroit où il a pris la liberté de parler de la négligence de la plupart des théologiens à l'égard du droit naturel; les dernières thèses de JA [Cogitationes] donnent bien à voir ce qu'il pense là-dessus. Du reste ces thèses sont bien décriées par les théologiens; celui qui les lui a remises, qui est l'oncle par sa femme du répondant, n'a pas goûté en particulier celle sur la trinité et C[onsta]nt les a traitées de bien scabreuses. Il a prononcé ce jugement devant des femmes et Barbeyrac a détourné la conversation, d'autant plus qu'il ne veut pas se commettre avec les théologiens ni avoir des disputes avec eux sur ces matières. Il se contente de soutenir la tolérance, qui est le meilleur moyen d'abréger les controverses. Il a hâte de voir les thèses de JA sur la corruption du christianisme [De adulterati christianismi] ; [Jean-Frédéric I] Ostervald a laissé sur ce sujet bien des choses à mieux développer [dans le Traité des sources]. Pour ce qui est de la question posée par JA, il pense qu'il est certain que toute obligation, et donc toutes les régles du juste et de l'injuste, sont fondées sur l'autorité d'un supérieur; on doit lui obéir justement parce qu'il est notre supérieur, soit que le droit de commander lui vienne de sa seule nature, comme c'est le cas pour Dieu, soit qu'il lui vienne de l'extérieur, comme les hommes, dont le pouvoir est presque toujours fondé sur le consentement de ceux qui s'y sont soumis. Quand on considère la nature des choses que Dieu prescrit, il lui semble pouvoir dire que le juste et l'utile vont toujours ensemble, puisque la bonté et la sagesse de Dieu demandent qu'il ne prescrive jamais rien qui ne soit pas utile, et cela même quand il semble exiger des actes de pure obéissance. Cette utilité, qui se confond avec la justice, n'est pas l'intérêt particulier de chacun dont parle Épicure mais l'utilité générale de tous, dont JA parle dans sa thèse 30. Il serait indigne de Dieu, qui est le souverain législateur, de prescrire quelque chose d'inutile. C'est ainsi qu'en manquant à son devoir, on pèche aussi contre la prudence et la justice. Et c'est peut-être ce qu'ont voulu dire les théologiens anglais dont parle JA. Cela ne veut pas dire qu'il ne faille obéir à Dieu que parce que ce qu'il nous commande est utile mais on suppose que la raison directe et immédiate est que l'on dépend de lui. Ainsi un homme de bien peut être persuadé que sa probité lui est utile sans que cela veuille dire qu'il n'est homme de bien que parce qu'il y trouve son compte. Dans les acte de justice, d'amitié et de reconnaissance on ne doit pas regarder uniquement son intérêt particulier mais considérer la nature et les effets de ces actes. JA demande dans sa thèse 24 si on ne devrait rien à Dieu si on n'avait rien à espérer ou à craindre de lui. Barbeyrac répond que, même dans une telle supposition (qui ne semble en réalité pas possible), il ne s'ensuit pas qu'il soit aussi juste de le blasphémer que de le louer. On ne peut pas reconnaître un tel Être et considérer comme égal de le mépriser ou de l'admirer; du moment qu'on le reconnaît comme l'unique auteur de notre être, on doit nécessairement avoir du respect pour lui, sans qu'il soit nécessaire qu'il le commande. À l'égard des devoirs réciproques des hommes, il est certain qu'ils consistent en une certaine connaissance, et donc on peut dire qu'ils peuvent être rapportés à l'amour de l'ordre. Mais cette idée est très vague et pour dire quelque chose de plus précis sur le juste et l'injuste, il faut revenir à l'idée d'utilité. Cela ne signifie pas tomber dans l'athéisme puisque l'athée ne reconnaît pas de supérieur, comme Dieu, et n'a d'autre règle que son intérêt particulier. S'il a des idées de convenance, auxquelles il croit devoir se conformer, comme le veut Bayle, elles ne sont soutenues d'aucun principe d'obligation. Barbeyrac craint qu'en réduisant le juste à des idées d'ordre, on n'offre un argument aux athées, qui pourraient en déduire que l'existence de Dieu n'est pas nécessaire pour établir un fondement de la morale et du droit. Pour ce qui est de l'argument de l'imitation de Dieu, on peut l'accepter dans le sens que, comme Dieu agit toujours nécessairement de façon conforme à sa nature, les hommes aussi doivent agir conformément à la leur et imiter les vertus du Créateur, mais dans les limites imposées par la différence qui est entre Dieu et nous. Pufendorf en parle dans le livre II, chapitre III, § 5 [Le droit de la nature, Amsterdam, 1706]. Il a été obligé de différer le plaisir d'aller rendre visite à JA à cause de mille problèmes domestiques.

Adresse

Genève


Lieux

Émission

Lausanne

RĂ©ception

Genève

Conservation

Genève


Cités dans la lettre

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