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Lettre 133 de Jean-Philippe Du Noyer à Jean-Alphonse Turrettini

Londres 09.06.1689 [30.05.1689 (v.s.)]

depuis pres d'un

Cela fait un mois que Du Noyer est à Londres et, s'il n'a pas écrit, c'est parce qu'il n'avait pas de nouvelles à donner. On a levé le siège de Londonderry en Irlande et on en a donné avis au roi [Guillaume III]. Le commandement de cette place avait été changé parce qu'on soupçonnait le gouverneur [Robert Lundy] d'avoir des sympathies pour le roi Jacques [II Stuart]. On l'a remplacé par un ministre [George Walker] qui a fat des merveilles. On se demande pourquoi on n'a pas pourvu plus tôt à ces...

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Londres 09.06.1689 [30.05.1689 (v.s.)]


Lettre autographe, signée, adressée. Inédite. (F)
Archives de la Fondation Turrettini (Genève), 1/Gd.D.20


depuis pres d'un


Cela fait un mois que Du Noyer est à Londres et, s'il n'a pas écrit, c'est parce qu'il n'avait pas de nouvelles à donner. On a levé le siège de Londonderry en Irlande et on en a donné avis au roi [Guillaume III]. Le commandement de cette place avait été changé parce qu'on soupçonnait le gouverneur [Robert Lundy] d'avoir des sympathies pour le roi Jacques [II Stuart]. On l'a remplacé par un ministre [George Walker] qui a fat des merveilles. On se demande pourquoi on n'a pas pourvu plus tôt à ces affaires d'Irlande et, à Londres même, la plupart des gens n'y voit pas très clair. Il y a, à ce propos, une histoire qui mérite d'être racontée. Le chevalier [John] Temple avait assuré au roi que le vice-roi d'Irlande [Tyrconnel] poserait infailliblement les armes. Mais il échoua dans ses négociations et, en ayant reçu des reproches de la part du roi, il se jeta dans la Tamise. On ajoute même que, pour être sûr de ne pas céder au désir de vivre, il se remplit les poches de plomb. Avant d'accomplir cet acte, il avait écrit deux billets, l'un pour le roi, l'autre pour le Parlement dans lesquels il affirmait avoir fait tout ce qui était en son pouvoir pour bien servir le roi. L'affaire n'a pas éclaté toutefois car la famille a fait croire à un accident, mais on assure que le suicide est véritable. Quant au problème de la succession, le Parlement a décidé que si la reine [Marie II], le roi et la princesse de Danemark [Anne Stuart] mourraient sans enfants, l'héritière du trône serait la princesse d'Hanovre [Sophie de Braunschweig-Lüneburg-Hanovre] ou ses descendants, à condition toutefois qu'ils communient avec l'Église anglicane. Cette décision a déplu aux républicains, qui croyaient pouvoir disposer librement de la couronne, et aux presbytériens. Les bruits qui couraient parmi le peuple, comme toujours au commencement d'un nouveau gouvernement, commencent à se calmer. Il n'y a, finalement, que sept évêques [en réalité neuf: Sancroft, William III Lloyd, Thomas, Turner, Ken, Frampton, White, Lake, Cartwright] qui n'ont pas prêté serment et qu'on n'a pas pu faire revenir. Ce qui est fâcheux, c'est que cinq d'entr'eux ont été à la Tour sous le roi Jacques et que certains sont d'un mérite et d'une vertu extraordinaires. Ils sembleraient par ailleurs disposés à déclarer qu'ils ne feront jamais rien contre le service du roi. On juge comme un grand coup de politique que le roi se soit réservé la possibilité d'excepter douze personnes du serment de fidélité ordonné par le Parlement à tous les détenteurs de charges ecclésiastiques ou autres. L'argent commence très lentement à arriver pour le roi. Il doit pourtant entretenir 60'000 hommes, en fait 45'000 effectifs, mais les Anglais n'ont pas vu la guerre depuis longtemps et il faudra un peu de temps pour que renaisse leur ancien courage. On a eu du mal à lever les régiments français d'infanterie. Cela devrait aller mieux pour la cavalerie, dont [Frédéric-Armand] de Schomberg sera colonel. On prétend qu'en moins de huit jours le régiment sera complet. Les ambassadeurs extraordinaires de Hollande [Schimmelpenninck, Witsen, Nassau, Willem, Citters] ont fait leur entrée dans la ville le lundi précédent [27.05/06.06], avec toute la magnificence possible. Du Noyer raconte par la suite une histoire, qui n'est pas toute récente mais qui mérite d'être connue. Elle concerne [Cornand] de La Crose, jadis proposant à Genève, qui a travaillé seul à un volume de la Bibliothèque universelle. Il a dédié ce volume à la princesse d'Orange, l'actuelle reine, qui a eu la bonté d'accepter la dédicace. Depuis, de La Crose est tombé amoureux de la reine et a essayé de le lui faire comprendre de toutes les manières possibles. Les domestiques, s'étant aperçu de son manège, lui ont interdit l'entrée. Il a fini par envoyer une lettre à la reine dans laquelle il lui déclarait ses sentiments et lui faisait remarquer l'importance, pour le bien public, qu'elle eût des enfants, ce qu'apparemment le roi n'était pas en"mesure de lui donner, en lui suggérant à ce propos de prendre d'autres voies. La reine jetta la lettre, en disant que l'auteur était prêt pour les petites maisons. Des dames, qui avaient assisté à la scène, voyant que la reine ne considérait pas l'affaire comme confidentielle, firent connaître la lettre un peu partout. De La Crose est désormais dans un grand embarras, à cause des retombées que cette affaire a eues sur sa réputation. En effet il semble que [Jean] Le Clerc n'ait pas voulu qu'il continue la Bibliothèque mais Du Noyer n'en est pas bien informé. Mylord Mordant a fait Rivals chapelain de son régiment avec une paye de cinq cents écus; mais, comme il ne connaît pas assez bien l'anglais, il faudra qu'il emploie à ses frais quelqu'un pour l'aider. Quoi qu'il en soit, il lui restera toujours la moitié ou les deux tiers de sa pension. Du Noyer ne sait pas ce que les huguenots deviendront, 40' ou 50'000 Irlandais réfugiés faisant beaucoup de tort à plusieurs égards. Johnston, député en Suisse, doit partir bientôt; il semble être un honnête homme. Il ne sait pas si Devaulx [III] est déjà arrivé en Hollande; son fils cadet [IV] a dit à Du Noyer qu'en parlant de JA à un évêque qui avait bien connu François Turrettini, l'évêque s'était réjoui d'apprendre que celui-ci avait un fils tel que JA mais qu'il lui conseillait d'aller faire un tour dans les universités anglaises. L'expéditeur sent bien que ce conseil est quelque peu intéressé car il dira tout ce qu'il pourra pour attirer JA dans le pays. Mais il est vrai aussi qu'il y a beaucoup de choses curieuses qui méritent d'être visitées. Avec Plantat, il est allé voir l'évêque de Salisbury [Gilbert I Burnet] qui les a reçus civilement mais s'est déclaré incapable de leur être utile. Du Noyer pense que sa nouvelle dignité épiscopale l'empêche de s'occuper des petites choses. Il envoie ses salutations à de nombreuses personnes de Genève. Les troupes sont toutes en mouvement en Angleterre; elles vont partir au premier jour, on ignore pour quelle destination. On ne doute pas que ce ne soit pour l'Irlande."

Adresse

Genève


Lieux

Émission

Londres

Réception

Genève

Conservation

Genève


Cités dans la lettre

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