Lettre 120 de Johann Heinrich Gernler à Jean-Alphonse Turrettini

Lettre autographe, signée. Inédite. (F)
Archives de la Fondation Turrettini (Genève), 1/Gd.K.1

Je ne sai... par quelle

À la demande de JA, mais aussi parce qu'il s'agit d'affaires très importantes, [Gernler] va informer son correspondant de ce qui se passe. Pour ce qui est des prières pour le prince de Galles [James Francis Edward Stuart], on les a faites pendant assez longtemps, bien qu'un peu irrégulièrement, mais on a cessé complètement depuis quelques semaines, de sorte que ceux qui, à Genève, soutiennent le contraire, se trompent. Il tient cela de la première dame d'honneur [Élisabeth Philippina de Limburg Bronckhorst Stirum] de la princesse [Marie d'Orange], d'un page anglais et de l'huissier de la dite princesse. Bénédict [II] Turrettini, [Barthélemy Micheli] Du Crest et [Pierre I] Got ont sûrement eu des disputes là-dessus. Les desseins de Son Altesse [Guillaume d'Orange] ne sont pas prétendus, selon l'expression de JA, mais indubitables, comme tout le monde peut le constater ici. L'État a équipé une flotte puissante et entretient un grand armement par terre. L'ensemble des troupes est évalué à environ 60'000 hommes. Outre la milice ordinaire, on compte une grande quantité de Brandebourgeois, de Luxembourgeois et de Hesse-Cassellois. On attend encore 6'000 Suédois et autant de Saxons. On prétend que la flotte se compose de plus de 600 voiles. Il est difficile de préciser combien d'hommes sont embarqués, car les embarquements se font en plusieurs endroits. K. [Gernler] est convaincu qu'outre les 9'000 matelots, il y aura encore 20'000 ou 25'000 hommes, cavaliers et fantassins, qui partiront avec la flotte. Il y aurait également des armes pour 30'000 hommes. Sous le prince, commandera l'amiral et bourgmestre de Rotterdam Schepers Bastiaanz. Il ne paye pas de mine mais est très capable. Le maréchal [Frédéric-Armand] de Schomberg est ici depuis quelques semaines mais [Gernler] ne sait pas s'il ira avec les autres. Il y a aussi un grand nombre de nobles anglais qui doivent se joindre à l'expédition, dont l'amiral Herbert et le fils de feu le comte d'Argyll. La flotte aurait sans doute mis à la voile depuis longtemps s'il n'y avait eu ce vent contraire et ces orages presque continuels depuis trois semaines. Les tempêtes, heureusement sans dégâts, ont été exceptionnelles. On célèbrera, après demain, une journée de jeûne dans les sept provinces pour que Dieu bénisse les desseins du prince d'Orange et des États pour le maintien de l'Église et de la liberté. Les catholiques sont inquiets et tout le monde s'intéresse de près à l'affaire, à tel point qu'il a vu des vendeuses sur le marché s'enquérir du vent. De même les puissances s'agitent beaucoup, il y a plusieurs mémoires publiés à l'instigation de la Grande-Bretagne et l'ambassadeur de France [d'Avaux] a fait état des craintes et des menaces de son maître. D'Avaux a fait savoir aux États que Louis XIV portera secours au roi d'Angleterre [Jacques II Stuart], à cause des alliances étroites qui les unissent, et que le premier acte d'hostilité provoquera une rupture immédiate entre la France et les États-Généraux. Entre temps, il y a eu de grands changements en Angleterre: on veut rétablir l'évêque de Londres [Henry Compton], le Collège de Magdelaine à Oxford (déjà fait) et mille autres choses. Le frère [Charles] du père Peters [Edward Petre], prêchant à Londres que la traduction de la Bible protestante n'était pas bonne, a été démenti. Tout cela montre bien à JA qu'il s'agit de beaucoup plus qu'un dessein prétendu. Le vent ayant changé depuis un jour, on peut penser le départ imminent. Le prince a congédié quelques domestiques qui étaient encore catholiques. Les vaisseaux hollandais qui sont dans les ports français sont arrêtés; tout commerce entre la France et la Hollande sera interdit le lendemain par un édit. Il y a beaucoup de pièces nouvelles touchant les affaires d'Italie, de Cologne, d'Angleterre contre le gouvernement du roi, contre le prince de Galles. Il en dirait davantage s'il ne craignait que sa lettre ne fût ouverte. Quant à [Gernler], il ne s'en mêle pas: sa nation, quelque puisseêtre l'issue, n'aura aucun profit à tirer d'une guerre longue qui serait au contraire désavantageuse du point de vue financier. Ils n'osent pas trafiquer pendant le jour de jeûne, bien que des frères venant d'Espagne les poussent sur certaine affaire. Que Dieu ait pitié de sa nation dispersée. [Gernler] ne sait pas si JA a vu le manifeste du roi de France contre l'Empire [Mémoires des raisons], la Lettre au cardinal d'Estrée contre le pape [Innocent XI] et autres livres défendus contre le roi d'Angleterre.

Adresse

[Genève]

Commentaire

Gernler a utilisé le pseudonyme de R. David ben Juda ben Anani pour signer sa lettre; plusieurs éléments conduisent à cette identification, tels que par exemple la proximité des écritures entre cette lettre et les autres lettres de Gernler et la similitude des thèmes abordés ici avec ceux de la lettre de JA à Gernler du 02/12.10.1688 à laquelle la nôtre semble répondre.

Lieux

Émission

Réception

Genève

Conservation

Genève

Cités dans la lettre