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Lettre 3554 de Jacques Serces à Jean-Alphonse Turrettini

Venise 24.11.1725

Jusques ici j'ai

Serces a tardé à écrire à JA parce qu'il n'avait rien d'intéressant à lui mander. Pour l'Allemagne, il n'y a pas beaucoup de nouvelles concernant des ouvrages qui éclairent l'esprit plûtot que de charger la mémoire. Parmi les endroits protestants, ceux où il y a davantage de savoir sont Berlin et, surtout, Leipzig. Parmi les catholiques, il a remarqué une très grande ignorance et autant de crédulité qu'en Italie mais accompagnée de mœurs moins déréglées que dans ce dernier pays qui se vante pour...

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Venise 24.11.1725


Lettre autographe, signée. Inédite. (F)
Archives de la Fondation Turrettini (Genève), 1/Gd.S.14


Jusques ici j'ai


Serces a tardé à écrire à JA parce qu'il n'avait rien d'intéressant à lui mander. Pour l'Allemagne, il n'y a pas beaucoup de nouvelles concernant des ouvrages qui éclairent l'esprit plûtot que de charger la mémoire. Parmi les endroits protestants, ceux où il y a davantage de savoir sont Berlin et, surtout, Leipzig. Parmi les catholiques, il a remarqué une très grande ignorance et autant de crédulité qu'en Italie mais accompagnée de mœurs moins déréglées que dans ce dernier pays qui se vante pourtant d'être le centre de la véritable religion. Il lui donne quelques nouvelles concernant la réunification des protestants à laquelle JA a tant travaillé. Dans le pays de Kassel, de Hanovre et de Prusse, on la souhaite avec passion. Il a même eu l'honneur de s'entretenir longuement avec le prince [Karl] Friedrich qui lui a fait connaître, d'une façon très naturelle, ses idées sur la matière. Il lui a tellement loué les ouvrages de JA que Serces s'est senti autorisé à lui offrir l'exemplaire sur les articles fondamentaux [Brevis et pacifica disquisitio] que JA lui avait donné avant son départ de Genève. Le prince l'a reçu avec beaucoup de joie et de reconnaissance. En général il a déduit de toutes ces conversations que la réunion serait davantage l'œuvre du temps que celle des théologiens ou des princes; qu'il ne faut rien précipiter mais attendre patiemment la mort de quelques théologiens luthériens rigides dont l'enseignement est mal goûté par les étudiants. On devient du reste insensiblement plus modéré sur les questions controversées et il y a lieu d'espérer que le parti de la tolérance prendra le dessus avec le temps. Serces a été prêt à accorder tout cela aux gens sensés qui lui en ont parlé; mais il a ajouté qu'on devait une reconnaissance infinie à tous ceux qui travaillent avec acharnement pour faire triompher une telle tolérance. Cyprian de Gotha a, depuis peu, fait beaucoup de mal à cette cause et son ouvrage, que Serces n'a pas lu, a éloigné de la réunion plusieurs personnes qui la regardaient avec sympathie. Serces a prêché deux fois à Berlin et il a été reçu de façon très gracieuse par la reine de Prusse [Sophia Dorothea], la princesse royale [Friederike Sophie Wilhelmine] et les tantes du roi [Friedrich Wilhelm I] qui l'ont félicité à propos de ses sermons. Il prie néanmoins JA de garder pour lui ce détail; d'un côté il sait comment il faut juger les compliments des Grands, d'autre part il ne voudrait pas que certains le croient victime d'orgueil. Il a eu l'honneur de rencontrer Lenfant à qui il a montré son traité des miracles [1729] ; il est tout à fait dans les idées de Serces et de JA et lui a fait des remarques très judicieuses. Il travaille maintenant à une nouvelle édition de son Concile de Constance et il se propose d'entreprendre l'Histoire de la guerre des Hussites. Il s'en est allé quelque temps à Breslau pour consulter certains manuscrits et, à son retour, il a prêché quelques vieux sermons puisqu'il n'en fait plus de nouveaux. C'était brillant mais Serces n'y a pas trouvé cette simplicité qu'il a tant admirée ailleurs. En outre il récite de très mauvaise grâce; il a toujours l'air chagrin et ne sait ménager ni les inflexions de sa voix ni les mouvements de son corps. Sa conversation est instructive et agréable mais il aime beaucoup les pointes; il a bien du naturel mais parfois pas toute la politesse qui serait souhaitable. Ses idées sont souvent fort différentes de celles de [Isaac] de Beausobre qui garde encore beaucoup des vieux systèmes. Ce dernier s'exprime bien, avec une grande politesse et une affectation qui est désormais devenue réelle. Il travaille actuellement à une histoire de la Réformation. Forneret est peu de chose, [Antoine] Achard est très estimé et il semble ne pas l'ignorer. On a béatifié depuis peu Jean Népomucène de Bohème et il est tellement vénéré qu'il deviendra bientôt un saint universel. Il avait été précipité du pont de Prague,"il y a 300/400 ans, sur ordre du roi Venceslas [VI] pour n'avoir pas voulu lui révéler ce que la reine [Jeanne] lui avait avoué en confession. Mais à l'endroit où il tomba des étoiles tombèrent aussi du ciel asséchant le fleuve et prouvant ainsi son innocence. Il a fait depuis ce temps-là beaucoup de miracles prouvés par le témoignage de personnes encore vivantes qui en ont entendu parler par leurs pères et grands-pères. Il semblerait pourtant qu'il ait eu de la peine à accéder à la sainteté: il y eut des oppositions, dont celle des jésuites, qui craignaient qu'il ne fît de l'ombre à Ignace de Loyola. Les millions de miracles qu'il a faits et, récemment, celui qu'il a accompli sur lui-même (sa langue a été trouvée fraîche comme au premier jour et plusieurs témoins, dont un en réalité à demi fou, ont même affirmé qu'elle bougeait) ont pu triompher de ses nombreux ennemis. On le considère comme le grand patron des ponts et on trouve partout en Bohême et en Autriche des statues le représentant. La Bohème travaille activement à sa canonisation et ils ont déjà envoyé à Rome 50'000 florins d'Allemagne pour les frais du procès et espèrent en faire de même sous peu. À ce prix-là il ne devrait pas y avoir beaucoup de saints. Il a envoyé à [Paul (?)] Eyraud la vie de ce saint avec toutes les pièces de la béatification [Balbinus, Vita]. Cet exemplaire appartient à l'expéditeur lui-même et Eyraud le fera suivre. Il lui parle par la suite d'une étrange pièce qu'il a vue dans un château à Ambras, près d'Innsbruck, où l'empereur [Karl VI] a un cabinet plein de curiosités. Il s'agit de deux petites boules que les anciens appellaient "cymbala tresonantia" qu'il décrit en détail et dont il demande l'explication à JA. Il lui demande aussi de lui indiquer quelques pièces curieuses sur les dogmes ou le culte de l'Église romaine de façon à ce qu'il puisse profiter au maximum de son séjour en Italie. Il espérait trouver quelques pièces inédites de Fra Paolo [Sarpi] mais il n'a rien vu pour le moment. Une personne de distinction lui a promis un traité contre l'infaillibilité du pape que l'un de ses amis possèderait et qui n'a jamais été publié. Il se peut qu'il reste encore assez longtemps à Venise et lui donne son adresse. Il envoie ses salutations à plusieurs personnes de Genève.

Adresse

[Genève]


Lieux

Émission

Venise

Réception

Genève

Conservation

Genève


Cités dans la lettre

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