Lettre 4017 de Jean I Barbeyrac Ă  Jean-Alphonse Turrettini

Lettre autographe, signée, adressée. (F)
Bibliothèque de Genève, Ms fr 484 (f.261-262)

Budé, Lettres, I, p.85-89. Omissions.

Vôtre Lettre... m'est parvenue

Barbeyrac a passé ses vacances à Amsterdam; il sait qu'un paquet est arrivé pour lui depuis longtemps de la part de JA avec ses thèses [Disputatio, pars sexta, 1728], son Sermon sur le jeu et sa réponse à [Crinsoz] de Bionnens [Défense de la dissertation] mais il ne l'a pas encore reçu à cause d'un malentendu entre les expéditeurs (Fabri et Barrillot) et le libraire ([Jean-Frédéric] Bernard) à qui il était adressé. Barbeyrac a été surpris de ne pas voir dans les gazettes hollandaises le désaveu que JA a donné ordre de publier au sujet de la misérable édition de son traité sur l'interprétation de l'Écriture [De methodo]. Barbeyrac a eu lui-même l'occasion d'en informer le public dans deux journaux, dont l'un, nouveau, paraîtra chez les Wettstein sous le titre de bibliothèque désintéressée [Bibliothèque raisonnée] ; on a fait la même chose avec un livre d'Ostervald [Ethicæ christianæ compendium]. Pour ce qui concerne celui de JA, l'éditeur est un ministre de Breda qui s'appelle Trinquand et l'ouvrage a été imprimé à Dordrecht par Oudman (Outman). L'éditeur rejette maintenant la faute sur [Samuel] Masson, le ministre anglais de Dordrecht, qui aurait publié le livre sans lui en demander la permission. Cette affaire devrait inciter JA à publier au plus vite son véritable ouvrage; Barbeyrac n'a pas le courage de le lire jusqu'au bout, tant il est outré de voir des choses estropiées derrière lesquelles on entrevoit tout le bon que la pensée de JA sur le sujet recèle. Ce qui déplait le plus aux théologiens hollandais, et notamment aux coccéiens, est ce que Barbeyrac apprécie tout particulièrement. Voget, le troisième professeur de théologie de Groningue, l'a manifesté publiquement dans une note à son oraison inaugurale dont Barbeyrac transcrit un long passage; dans celui-ci Voget nie qu'un tel ouvrage ait pu sortir de la plume de JA auquel il ne veut pas imputer ce qui est dit sur l'interprétation allégorique. Barbeyrac s'est rendu à La Haye et a vu tous les jours les quatre ministres ordinaires [Théodore-François Huet, Charles Chais, Chion et Gabriel Cramer] qui s'entendent bien entre eux et semblent animés par des sentiments de modération; le ministre compatriote de JA [Cramer] a parlé de celui-ci de la façon souhaitée par JA. Il a prêché sur le verset "ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés" et a fait des réflexions sur les jugements téméraires en matière d'hérésie. Il a rencontré plusieurs fois [Jean] Le Clerc qui a surmonté une courte mais très violente maladie; son corps est en bon état mais son esprit est épuisé et il n'a plus de mémoire. Son Histoire des Provinces-Unies est achevée et il aurait été souhaitable qu'il consacrât le temps voué à cet ouvrage à son commentaire sur les Hagiographes et les Prophètes. Il lui reste encore beaucoup à faire pour ce qui est des paraphrases et des notes sur les prophètes. Les deux volumes s'impriment à la fois mais Le Clerc est déchargé d'une grande partie de la correction des épreuves. Lenfant est mort, ce qui privera le public du Concile de Bâle. Il avait envoyé il y a quelque temps des notes sur le livre du père Gisbert [L'éloquence chrétienne] qui paraîtra bientôt à Amsterdam chez [Jean-Frédéric] Bernard qui imprime aussi les mémoires de Mademoiselle de Montpensier. Barbeyrac donne par la suite des nouvelles littéraires concernant les édition ou réimpressions de Polybe, Bayle, Boileau, Fontenelle, Grotius, Simon, Veneroni, Sénèque, Cicéron; quant à l'Histoire littéraire de l'Europe, elle devrait recommencer à paraître. Le Pufendorf de Barbeyrac [Le droit de la nature, 1724] languit sous la presse, il n'y a que dix feuilles d'imprimées; Barbeyrac a à faire à un misérable libraire qui ne veut pas laisser faire à d'autres ce qu'il n'est pas lui-même en mesure de faire. Il a finalement promis aux libraires du Corps diplomatique [de Dumont] qu'il leur donnera une sorte d'introduction à ce grand ouvrage. On a traduit en anglais son traité des Pères [An historical and critical account], quoi qu'il pense que les théologiens anglais ne verront pas ses idées d'un bon œil. Il est heureux de ce que JA pense de cet ouvrage, même s'il rabat trop ce dont Barbeyrac lui est redevable. Il a vu à Amsterdam [Evert Joost Lewe van] Aduard et lui a référé ce que JA lui a écrit au sujet de son second fils [Berend]. Barbeyrac doit se rendre à la leçon inaugurale de l'un des nouveaux professeurs; la veille, il a assisté à celle du successeur de [Jean-Pierre] de Crousaz, un bernois nommé Engelhard. Sa leçon portait sur l'utilité de la physique et des mathématiques pour l'intelligence de maints passages de l'Écriture. Il a fait les écrivains sacrés fort savants sur ce genre de choses; voilà qui réjouira les coccéiens.